
lots of bones


Lots of bones
L’os in translation. Des broches, des boucles d’oreilles, des parures, des colliers. Autrement dit des bijoux. Sauf que l’artiste n’est pas bijoutière. Sylvie Godel est céramiste. Des bijoux délicats, blancs ou anthracites, qui rejouent des formes d’os. Autrement dit des vanités portatives. Sauf que l’artiste n’est pas versée particulièrement dans les vérités d’Ecclésiaste. Sylvie Godel est une gourmande. Rien n’est vain pour elle, au contraire. Elle goûte l’existence et les expériences, comme on croque avec ardeur les crânes de sucre coloré confectionnés lors de la fête des morts au Mexique.Dans le processus créatif de la céramiste, l’art et la vie se distinguent peu, ce qui est expérience d’un côté devient œuvre d’art de l’autre. Epiphanies en vue, donc. Ainsi en va-t-il de celle qui advint en Chine, lors d’une résidence. Sylvie Godel est à table, elle termine son repas ; dans son assiette, des petits os consciencieusement nettoyés s’empilent sur fond de porcelaine. Des formes inspirantes, joyeuses ; en les bougeant un peu, en les faisant tenir debout, on dirait une ville. Pourquoi ne pas tenter la bascule dans le champs de l’art ? Fabriquer des os de porcelaine sans forcément agiter les poncifs habituels. Qui plus est l’intuition est consolidée par la matière qui servira à réaliser les pièces. Bone China, une porcelaine faite à partir de 30 pour cent de cendres d’os. Se caractérisant par une blancheur parfaite, dure et résistante, elle est considérée comme une des porcelaines les plus raffinées et les plus nobles. De cette ville écrin va surgir l’idée des bijoux. Plusieurs formes sont développées, os creux à la queue leu leu, os dansant suspendus aux lobes, ou qui font la ronde, ou qui se nichent au creux du cou. Ludiques mais aussi féroces, ils font la nique aux reliques. Ces bijoux proposent une synthèse étonnante, un mariage inédit entre esprit minimaliste et baroque, conceptuel et sensuel, solaire et lunaire, séculaire et contemporain. Si le socle de l’histoire de ces bijoux se déploie à partir d’une anecdote, cette dernière exalte pourtant la source du travail, une appétence créative hors du commun. De l’émail des dents qui détache la chair des petits os à ces bijoux en porcelaine Bone China, il y a une sorte d’acte cannibale sublimé. S’impose alors ce mot intraduisible mais qui va dans le sens d’une assimilation, Verarbeitung. Un acte fondateur aussi important que celui de se sustenter. Petit à petit, Sylvie Godel dérive du bijou pour se diriger vers une forme de sculpture ; et comme par hasard, mais il n’existe que d’heureuses coïncidences, l’autre jour, son boucher mis au courant de ses recherches lui a offert un fémur de vache, elle saura sans doute en extraire la substantifique moelle. (Florence Grivel, février 2014)
photographies @ Lionel Henriod